Lettres Pastorales
Introduction
- Le pape François nous invite cette année à entrer dans la dynamique de la miséricorde. La miséricorde étant une clé pour nous faire comprendre et vivre le message central (le cœur) de toute la Bible: Dieu vient nous rejoindre au cœur de nos misères pour se faire proche de nous, nous accompagner, nous soutenir et nous conduire sur un chemin de libération. Suite à ma lettre pastorale 2016, de nombreux chrétiens m’ont posé la question suivante: est-ce que la miséricorde a un lien avec notre manière de vivre notre engagement politique? Ils ont exprimé le souhait de pouvoir approfondir cette question afin de mieux vivre leur engagement politique. D’où ce supplément à la lettre pastorale 2016 dont le titre est: politique et/ est miséricorde.
- Un des textes fondateurs de la Bible (le livre de l’Exode) a une dimension éminemment politique. Ce livre de la Bible nous raconte que Dieu a vu la misère de son peuple, a entendu ses cris de souffrance et il est venu au secours de ce peuple par bien des médiations: Moïse, Aaron, Josué mais aussi par le don de la manne, de la loi (les dix commandements) et en les guidant par sa lumière, de jour comme de nuit, durant 40 ans. Cet événement fondateur a bien une dimension politique importante avec la formation d’un peuple et sa structuration comme nation -Israël. Dieu manifeste ainsi sa miséricorde en libérant ces esclaves des chaînes de la servitude et en les faisant accéder à la liberté. Dieu fait de ces esclaves un peuple libre. Jésus – le Visage même de la miséricorde- nous invite d’une manière pressante à être miséricordieux comme Dieu notre Père est miséricordieux envers nous. (Luc 6 vs 36.) Alors, comment vivre la miséricorde au cœur de la politique? À quelles conditions un engagement politique peut-il être une mise en œuvre de la miséricorde?
2 . Le but de tout projet politique digne de ce nom est d’œuvrer à la promotion d’un mieux vivre ensemble, avec une attention plus particulière pour les plus défavorisés de la société, ceux qui sont au bas de l’échelle sociale. Alors, tout en respectant l’autonomie légitime de la politique, (sur laquelle Jésus insiste à bien des reprises au cours de son enseignement) la question se pose: est-ce que la sagesse biblique peut nous éclairer et nous guider dans l’action politique? ” Est-ce que la sagesse biblique peut élargir notre sagesse politique?” Est-ce que la Bible peut être une source d’inspiration dans la mise en œuvre d’un projet politique afin de construire une société plus juste, plus libre et fraternelle, plus responsable et respectueuse des différences, bref plus humaine ? Est-ce que l’enseignement de l’Eglise, riche de 2000 ans d’histoire, de tradition et d’expériences (parfois négatives) peut être une contribution utile dans l’élaboration de projets politiques qui permettent une meilleure vie en société ? Est-ce que Jésus libérateur peut être une source d’inspiration et une force morale pour les politiciens et les politiciennes?
Lire PlusSagesse biblique et politique.
- Pas de programme politique clé en main mais levain dans la pâte.
A.1) La Bible ne nous donne pas de programme politique clé en main pour diriger un gouvernement au XXI siècle. Jesus par contre, nous invite à être levain dans la pâte humaine. En effet, la Bible – l’Ancien comme le Nouveau Testament- ne nous donne pas un programme politique, ni économique, que le pouvoir politique n’aurait qu’à mettre en œuvre en l’appliquant à la lettre! Dieu respecte trop notre liberté pour se substituer à nos responsabilités dans la gestion de la société. Dans le livre de la Genèse au chpt 2 v 15 il nous est dit que : ”Le Seigneur Dieu prit l’homme et le conduisit dans le jardin d’Éden pour qu’il le travaille et le garde.” Le Dieu créateur suscite notre liberté, notre créativité et notre sens des responsabilités pour que nous puissions construire notre histoire. Dieu nous donne des repères, entre autres les dix commandements, que Jésus résume ainsi : «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement. Et le second lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes.» Mt 22 v 37 -40: Dieu nous confie la responsabilité, entre autres par l’action politique, de la mise en œuvre des commandements. Jésus précisera même : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » (Mt 22 v 21. ) Autonomie donc de la politique. Distinction nette entre le Royaume de Dieu et les royaumes de la terre. Jésus dira à Pilate au moment de son procès: ‘mon Royaume n’est pas de ce monde’. Pas de confusion nous dit Jésus entre l’autorité de Dieu et le pouvoir politique mais cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agit de deux réalités (la politique et la foi) complètement séparées et qui n’ont aucun lien entre elles.
N’oublions pas que ce même Jésus qui nous invite à faire la distinction entre Dieu (le Tout Autre) et César (le pouvoir politique) nous invite par ailleurs à être levain dans la pâte humaine, à être sel en inscrivant l’Évangile dans notre vie quotidienne, à être reflet de sa lumière au coeur de nos engagements. Pas de confusion mais pas de divorce non plus ! Cette tension n’est-elle pas source de fécondité pour le débat politique et bénéfique donc pour le vivre ensemble en société !
- La prière d’un politicien qui plait à Dieu
- 1) La Bible nous propose la prière d’un homme politique, la prière du roi Salomon, le successeur de David, au moment où il commence d’assumer ses responsabilités. Cette prière pourrait être une source d’inspiration pour tout politicien/politicienne et pour tous ceux et celles qui prient pour les politiciens. En voilà un extrait:
Premier Livre Des Rois. Chpt 3 vs 3-15
À Gabaon, pendant la nuit, le Seigneur apparut en songe à Salomon. Dieu lui dit : « Demande ce que je dois te donner. » . Seigneur mon Dieu, c’est toi qui m’as fait roi, moi, ton serviteur, à la place de David, mon père ; or, je suis un tout jeune homme, ne sachant comment se comporter, et me voilà au milieu du peuple que tu as élu ; c’est un peuple nombreux, si nombreux qu’on ne peut ni l’évaluer ni le compter.
Donne à ton serviteur un cœur attentif pour qu’il sache gouverner ton peuple et discerner le bien et le mal; sans cela, comment gouverner ton peuple, qui est si important ? » Cette demande de Salomon plut au Seigneur, qui lui dit :
11 « Puisque c’est cela que tu as demandé, et non pas de longs jours, ni la richesse, ni la mort de tes ennemis, mais puisque tu as demandé le discernement, l’art d’être attentif et de gouverner, je fais ce que tu as demandé : je te donne un cœur intelligent et sage. Salomon s’éveilla : il avait fait un songe ! Il rentra à Jérusalem et se présenta devant l’arche de l’Alliance du Seigneur.
B.2) A travers cette prière qui plait au Seigneur que de nombreux enseignements par rapport à l’art d’exercer des responsabilités politiques! Cette prière révèle que Salomon est un homme humble devant la grande responsabilité qu’il doit assumer pour gouverner son peuple comme roi. Tout d’abord, Salomon est bien conscient que ‘diriger’ un pays est un grand défi car les situations sont complexes et il n’y a pas de solutions simples.
Par ailleurs, il a bien conscience de ne pas avoir toutes les réponses à toutes les questions et c’est la raison pour laquelle il demande un cœur attentif au réel et cette capacité permanente de discernement entre le bien et le mal (souvent entremêlés, mélange de bons grains et d’ivraie) pour gouverner avec” prudence, mesure et sagesse.” Il demande donc discernement et art de gouverner afin de faire advenir, à travers des décisions concrètes, le droit et la justice. En réponse Dieu lui donne un cœur intelligent (c’est à dire créatif, capable d’analyser et de trouver des solutions innovantes aux problèmes soulevés) mais également sage (conscient de la complexité du réel, intègre et soucieux des personnes, capable de prendre des décisions, parfois difficiles, en vue du bien commun). Intelligence et sagesse sont complémentaires.
- Légitimité de vouloir exercer le pouvoir et tentations liées au pouvoir politique.
C.1) Il est tout à fait logique et légitime que tout politicien aspire à exercer le pouvoir et ainsi à mettre en œuvre une vision de la vie en société. Le but de tout parti politique est de proposer un projet politique pour le pays et de se trouver en positon, par l’accession au pouvoir, de le mettre en œuvre. La démocratie implique donc, avec les moyens en cohérence avec la démocratie, une lutte politique pour accéder aux responsabilités du pays. Cette compétition pour le pouvoir suscite bien des passions, des antagonismes et des débats. Tout cela fait partie des règles de la démocratie.
Néanmoins, autant le débat d’idées est légitime et même necessaire, autant il est important de respecter l’intégrité de l’adversaire (et non l’ennemi) politique. Chaque politicien/politicienne, ainsi que sa famille et ses proches, est aimé/e de Dieu et doit donc être respecté/e en tant que personne. Jesus a toujours eu un grand respect pour les personnes avec qui pourtant il a eu des débats très vifs, pensons entre autres à ses controverses avec les pharisiens ou encore avec les Saducéens.
C.2) Le pouvoir politique – tout comme d’autres formes de pouvoir: économique, religieux, social ou pouvoir au sein de la famille- peut être un lieu de grandes tentations. L’Ancien Testament-pensons entre autres aux prophètes Isaïe, Jérémie, Osée, Amos, – remet souvent en cause une certaine manière d’exercer le pouvoir politique. ” Malheureux ! Ils rédigent des décrets malfaisants, ils inscrivent des écrits d’oppression! Ils refusent de rendre justice aux faibles, et privent de leurs droits les pauvres de mon peuple; les veuves deviennent leurs proies, et ils dépouillent les orphelins ! (Isaïe 10 vs 1-2.) La Bible nous met ainsi en garde ‘concernant les dangers du pouvoir….de la griserie et des périls inhérents à tout pouvoir.’ Satan a même tenté de séduire Jésus en lui proposant de faire un pacte avec lui; en voulant inciter Jésus à s’agenouiller devant lui, Satan lui promet d’accéder, à ce prix , au pouvoir sur tous les royaumes ! Le pouvoir du mal est toujours à l’œuvre et peut détourner l’action politique de sa finalité.
- Que nous enseigne la Bible, et particulièrement Jésus , par rapport à la politique?
D.1) Dieu seul est Dieu ! ” Alors Dieu prononça toutes les paroles que voici: Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi.” Exode 20 vs 1-3! La politique, si importante soit-elle dans la vie de la société, ne peut englober toute la réalité.
Elle serait alors totalitaire. Entre autres exemples, l’art – la peinture, la musique, la poésie – ne doit en aucun cas être sous le contrôle de la politique même s’il est légitime d’avoir une politique culturelle. L’art transcende cette dernière. De même, la manière d’éduquer les enfants relève de la responsabilité des parents et non du pouvoir politique, même s’il y a une politique familiale dont le rôle se limite à favoriser les conditions qui permettent à chaque famille de pouvoir vivre dignement. La politique a sa place mais elle ne peut prétendre avoir toute la place! La politique pas capave vine nou Bondié. Elle ne doit pas être envahissante. Nous ne pouvons absolutiser la politique car ce serait alors une forme d’idolâtrie. Les prophètes n’ont cessé de dénoncer les différentes formes d’idolâtrie : le pouvoir, l’argent, le sexe.
D.2) Le pouvoir politique, comme toute forme de pouvoir, peut griser et conduire à un sentiment de toute puissance qui isole le politicien qui se croit alors tout permis et tout puissant. Dirigeant le peuple, il peut se croire au-dessus du commun des mortels. Ainsi, le roi David se sert de sa position politique pour envoyer au front le général Urie afin qu’il soit tué et qu’il puisse prendre la femme de ce dernier pour épouse. Jésus nous rappelle que nous sommes de simples gérants. Nous nous rappelons bien évidemment la parabole de Jésus concernant des gérants: ” Que dire de l’intendant fidèle et sensé à qui le maître confiera la charge de son personnel pour distribuer, en temps voulu, la ration de nourriture ? Heureux ce serviteur que son maître, en arrivant, trouvera en train d’agir ainsi ! Luc 12 v 42 Nous devrons, nous dit Jésus, rendre compte de notre gérance, c’est à dire de la manière dont nous nous comportons envers les personnes qui sont sous notre responsabilité (en démocratie, les mandants) mais en dernière instance à Dieu. Dans ma lettre pastorale 2016 je soulignais qu’en Jésus il n’y a pas de divorce entre ce qu’il pense et ce qu’il dit, entre ses paroles et ses actions, entre ce qu’il dit en privé et ce qu’il déclare en public, entre son être et son faire.
En la personne de Jésus, nous pressentons une unité profonde, une cohérence absolue. Il n’y pas en lui de double langage. Pour toutes ces raisons Jésus paraît tellement crédible. Dans un contexte où, spécialement auprès des jeunes, les institutions en général, et la politique en particulier, sont discréditées par une perception de promesses non tenues et par manque de crédibilité, l’exemplarité et l’intégrité sont des enjeux prioritaires dans la rénovation de la vie publique. Afin d’exercer le pouvoir ou de s’y maintenir, les partis politiques peuvent être tentés de ‘séduirai’ l’électorat en faisant appel à l’irrationnel, à des arguments qui réveillent de vieilles blessures ou à des instincts de haine, de jalousie, ou encore en faisant des promesses démagogiques, bref à ne pas faire appel à l’intelligence et au bon sens des électeurs. Nelson Mandela, ce grand leader politique, nous partage la philosophie qui l’a guidé dans son combat pour lutter contre l’apartheid et instaurer la démocratie en Afrique du Sud: ” j’évite les discours démagogues. Je ne veux pas exciter les foules. Je veux qu’elles comprennent ce que nous faisons pour les amener à un esprit de réconciliation.” (N. Mandela …’ conversations avec moi même ‘ page 352.)
Tous les politiciens devraient continuellement se poser la question suivante: sommes- nous les promoteurs de la justice et du bien de tous? Faisons-nous confiance et appel à l’intelligence et au bon sens de l’électorat ?
D.3) Tous ceux qui ont l’ambition légitime de diriger ou de se maintenir au pouvoir, Jésus les invite à prendre une posture de service. “Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit son vêtement, se remit à table et leur dit : « Comprenez-vous ce que je viens de faire pour vous ? Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous.
Amen, amen, je vous le dis: un serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni un envoyé plus grand que celui qui l’envoie. Sachant cela, heureux êtes-vous, si vous le faites. ” Jean 13 v 12-17.
Le pouvoir politique, (comme toute forme de pouvoir) dans une perspective biblique, consiste à se mettre au service de la population, du bien de tout un chacun, indépendamment de ses convictions politiques, religieuses ou de son appartenance à tel ou tel groupe. Accéder au pouvoir afin de servir le bien commun en œuvrant, par les décisions concrètes, à la justice sociale, en protégeant les plus vulnérables et en veillant à l’unité de la société, voilà l’idéal que nous propose Jésus; un idéal réaliste pour ceux qui se font disciples du Seigneur.
D.4. Quel sens donner à notre vie en société, à notre action politique (à notre vie personnelle) ? Autant de questions à nous poser sinon nous risquons de réduire le développement du pays au seul indice du PIB ou à une question de simple gestion, si importants par ailleurs. Certes nous reconnaissons les bienfaits de la société de consommation qui nous permet de ne pas être angoissés de quoi nous nous nourrirons demain. Mais dans notre monde où la consommation, les derniers gadgets, le ‘look’, sont si importants nous risquons de nous contenter d’une vie superficielle, ‘mangé-boire-amisé’ en ….attendant la mort! Déjà les empereurs romains pensaient que le peuple ne désire finalement que le pain et des jeux! Jésus est d’un avis contraire, lui qui nous dit que l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole sortant de la bouche de Dieu! La vie active, sans une vie intérieure (pas automatiquement religieuse) risque d’affadir l’action politique à la seule dimension de la gestion du pain et des jeux ! Une très belle prière que nous lisons au temps du carême dit que ‘tout part de l’intérieur.’
Le livre de Siracide au chpt 37 v 16-17 nous dit : ” le début de toute entreprise est la discussion, avant toute action il y a la réflexion, la racine des pensées, c’est le coeur.”
Promouvoir une éducation scolaire qui ne soit pas une simple transmission du savoir, développer le sens du beau, favoriser le respect de l’environnement et ne pas être des prédateurs, autant de manières de faire qui ne peuvent que ‘sourcer’ de l’intérieur, de la réflexion, de l’échange et de la méditation. Nous risquons toujours de rester fixer sur le guidon et ne pas regarder la route! Une forme de spiritualité peut certes nous faire nous évader du réel et devenir, comme l’a dénoncé K Marx, ‘l’opium du peuple’, ou se réduire à un optimisme béat. Une certaine manière de vivre la religion peut nous conduire au fondamentalisme et au fanatisme et donc à la fermeture aux autres. Par contre, une spiritualité nourrie d’une lecture ouverte des textes sacrés, prenant ses racines dans le meilleur d’une tradition religieuse, nourrie de la rencontre priante avec Dieu et de l’attention au réel, développe en nous cette intériorité. Elle nous donne ‘une colonne vertébrale’ en ‘suscitant notre liberté, en nous donnant une perspective et un sens de l’histoire,’ et nous permet ainsi d’assumer nos responsabilités avec courage. Une vraie spiritualité libère notre créativité et nous fait échapper à ‘l’immédiatisme.’ L’histoire humaine, même plus récente, nous révèle que les croyants ayant une vraie vie intérieure ont une grande capacité de résistance et de leadership. Pensons, entre autres, à Ghandhi, Martin Luther King, Julius Nyerere, à Konrad Adenauer et Robert Schuman (pères fondateurs de l’Europe), à Antoinette Prudence.
Que nous disent l’enseignement de l’Eglise et sa longue tradition concernant la politique ?
E.1 La critique est souvent aisée et, peut être, particulièrement concernant les politiciens! Nous avons même parfois tendance à baisser le ton et à porter des regards furtifs en parlant d’eux ! Il y a cette généralisation facile: ‘politique sale, politiciens malhonnêtes’. Pourtant en 1927, le pape Pie XI parlait du domaine politique comme « le champ le plus vaste de la charité ” C’est pourquoi je voudrais inviter la société civile à remercier toutes les femmes et tous les hommes qui s’engagent dans la politique active et qui ont le souci de la qualité de notre vie en société. La diversité des opinions, de stratégie et des partis politiques, sont bien les signes de la vitalité d’une démocratie. Réjouissons nous également qu’ à Rodrigues de nombreux jeunes adultes s’intéressent à la politique active. L’engagement politique est très ”demanding” en terme de temps, de disponibilité et de service, parfois au détriment de leur propre vie en famille. Tout comme un pays a besoin d’ingénieurs compétents, de fonctionnaires intègres, de professeurs, d’artisans, d’agriculteurs, d’économistes, il a besoin de politiciens. Qu’ils soient donc remerciés.
E.2) Un principe fondamental de l’enseignement social de l’Eglise est la recherche du bien commun. Dans une perspective chrétienne, tout parti doit initier une politique en vue du bien commun et non pas au bénéfice d’un groupe, de ceux qui financent les partis ou encore pour des avantages personnels. C’est la raison pour laquelle les principes de bonne gouvernance et de transparence, ainsi que de non-conflits d’intérêts doivent toujours être le souci permanent de chaque politicien et de chaque parti politique. Des institutions de contrôle doivent exercer un rôle de vigilance et ainsi veiller à sa mise en œuvre. Les corrompus et les corrupteurs, ‘les profiteurs’, ‘des rôdeurs boute’ sont un vrai cancer et donc autant de freins pour le développement d’un pays. Le bien commun doit toujours primer sur les intérêts particuliers et a fortiori sur les intérêts personnels ou familiaux.
E.3) Pour la bonne santé de toute démocratie il est important que tout politicien et tout parti politique s’engagent à respecter et à promouvoir, sans ingérence politique, les corps intermédiaires. Il s’agit du principe de subsidiarité. Tout comme Il est important d’avoir des contre-pouvoirs indépendants, comme par exemple un judiciaire indépendant de la gouvernance politique, de même les corps intermédiaires ont un rôle essentiel à jouer dans toute démocratie. Ainsi, les syndicats, les coopératives, les comités de village, les mouvements religieux et autres associations (ONG) sont autant d’institutions qui, tout en respectant les règles démocratiques (dont le vote majoritaire), sont d’une grande contribution dans le développement de la société.
E.4 ) Personne, aucun politicien, aucun parti, n’a le monopole de la vérité et la solution à tous les problèmes. Par ailleurs les personnes, les familles, les associations vivant au plus près des réalités sont d’un apport considérable pour trouver des solutions à des questions concrètes. D’où l’importance de la consultation régulière des personnes et des groupes à ‘la base’ permettant ainsi de promouvoir une démocratie participative. La démocratie vivante ne consiste pas simplement à faire appel au vote des citoyens tous les 5 ans mais à permettre aux citoyens de donner leurs avis et à participer aux décisions, bien évidemment en tenant compte du choix politique de la majorité. Il s’agit ainsi là encore, pour le pouvoir politique, de mettre en œuvre le principe de subsidiarité.
E.5) La Constitution Pastoral “GAUDIUM ET SPES” (Concile Vatican II) qui exprime les rapports de l’Eglise et du monde, de l’Eglise et des hommes d’aujourd’hui’ commence ainsi: ” les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur coeur.” Au no 4 de ce même document il est question d’un devoir pour toute l’Eglise: scruter les signes des temps et de mieux être à l’écoute des besoins et des aspirations de nos contemporains afin de se mettre au service du développement intégral de l’homme. Après avoir vécu cet exercice en lien avec un groupe de chrétiens nous avons dégagé 4 enjeux majeurs, qui à notre avis, méritent des réponses politiques:
- Créer des d’emplois durables afin que les Rodriguais qui le désirent n’aient pas à émigrer vers l’île Maurice où, il faut le redire, ils vivent souvent dans des conditions plus que difficiles dans les périphéries des villes ou des villages.
- Promouvoir une éducation inclusive qui tienne compte des différentes formes d’intelligence et de talents (entre autres artistiques) mais également des besoins de l’île Rodrigues. Combattre l’analphabétisme, cause majeure de bien des problèmes sociaux.
- Organiser la gestion de la terre en aménageant des zones pour l’agriculture et d’autres pour l’élevage (les conflits, souvent violents et sources de grande frustration, entre agriculteurs et éleveurs freinent le développement de ces deux secteurs) mais aussi des espaces verts et des zones d’habitat. Le ‘tout béton ‘ aurait des conséquences extrêmement graves pour l’équilibre de notre société et le développement économique de l’île, plus particulièrement le tourisme. Promouvoir un développement durable, donc le respect de l’environnement, est un enjeu majeur pour l’avenir de l’île Rodrigues .
- Mener une vraie campagne pour ne pas se laisser contaminer davantage par le fléau de la drogue en sachant, (et les études scientifiques le prouvent), qu’il n’y a pas de drogue douce.
Responsabilités des électeurs par rapport à la politique et aux politiciens .
F.1) L’enseignement social de l’Eglise, à la suite de Jésus, encourage les chrétiens à s’engager dans ‘le monde de ce temps’, y compris dans le domaine politique, afin d’être levain dans la pâte humaine. Il est très positif que les chrétiens Rodriguais s’intéressent à la politique. La miséricorde nous invite certes à nous faire proches des personnes qui vivent des situations de misère par des actions ponctuelles, comme par exemple la visite des malades, des prisonniers, le partage avec ceux qui ont faim, etc. La miséricorde nous invite également, entre autres au moyen de décisions politiques, à transformer des structures, par exemple un système éducatif au service du développement intégral de chaque enfant et de chaque jeune, un habitat décent pour chaque famille, une administration plus accueillante, des conditions d’emploi et un salaire décent pour ceux qui sont au bas de l’échelle sociale, qui ont une incidence directe sur la misère et l’exclusion des familles vulnérables ou encore des personnes handicapées.
F.2) Certes il faut prendre garde que la politique ne nous divise si nous lui donnons trop de place au sein des familles, du village, de la communauté chrétienne. Des tensions inévitables ne doivent pas non plus être un prétexte pour se désintéresser de la politique. Vivre la miséricorde, c’est vivre l’engagement politique dans le respect de l’adversaire ou tout simplement dans le respect de ceux et celles qui font des choix différents des nôtres. S’il est certes légitime de manifester notre enthousiasme pour un projet politique que nous soutenons à travers des meetings, des défilés et autres formes de manifestation, cela ne doit pas se faire par des paroles violentes et injurieuses, une gestuelle du corps indécente (lève robe, faire ban gestes indécents) ou des écrits injurieux. De même s’il est légitime de soutenir un parti politique et un leader, cela ne doit pas se faire au détriment de tout esprit critique comme il arrive à des suiveurs de le faire, à l’exemple des moutons.
F.3) En tant qu’électeurs, nous ne devons en aucun cas solliciter les politiciens pour une faveur personnelle ou au bénéfice de nos proches. Par contre, la campagne électorale est un moment favorable pour exprimer nos souhaits concernant notre environnement immédiat (notre village, notre région) et revendiquer ce qui nous semble être nos droits. Ce qui nous différencie d’un animal ou d’un robot, même doué d’intelligence artificielle, c’est notre conscience. La conscience est cette aptitude qui se trouve en chaque humain à discerner, à faire des choix libres, à décider par nous -mêmes.
Nous sommes, grâce à notre conscience, capables de dépasser nos instincts et de ne pas nous laisser programmer ou encore télécommander. Nous avons le devoir de toujours éclairer notre conscience avant de voter et non être de simples suiveurs. En aucun cas, nous pouvons marchander notre vote ou nous laisser manipuler. Chaque personne humaine est image de Dieu et mérite considération et respect.
Conclusion
Le pape Benoit XVI a initié une grande évolution dans l’enseignement social de l’Eglise particulièrement à partir de son encyclique ‘Deus Caritas Est.’ Notre agir en société, entre autres, en politique, repose selon l’enseignement du pape Benoit, non pas d’abord sur la justice et la solidarité mais sur l’Amour. La justice, la solidarité et la fraternité découlent de l’Amour. L’Amour est donc notre fondement, le roc sur lequel nos sommes appelés à construire notre maison commune. Pour la Bible, l’amour n’est pas seulement une question de sentiments (si importants soient-ils) mais un engagement à tout mettre en œuvre pour le bien-être et l’épanouissement de notre prochain. Pour la Bible, l’amour humain a sa source en Dieu car, comme nous dit l’apôtre Jean, ‘ Dieu est Amour.’ Davantage encore pour le Nouveau Testament, l’Amour a un visage humain: Jésus. Jésus a une attention toute particulière pour les lépreux, les rejetés de la société. Il est ‘MISERICORDIAE Voulus ‘, le visage même de la miséricorde. En ce Jour de la Pentecôte, donnons un espace à l’Esprit Saint (qui suscite et la diversité et l’unité) pour que Jésus soit notre guide, l’éveilleur de nos consciences, notre source d’indignation devant tout ce qui blesse l’humain, notre soutien, le transformateur de nos cœurs de pierre en cœurs aimants.
Osons un rêve pour que notre manière de vivre la politique à Rodrigues soit un signe prophétique: tout en reconnaissant la complexité du réel, l’âpreté du combat politique, la diversité des sensibilités et des options politiques, pourquoi ne pas permettre à la miséricorde d’inspirer, davantage encore d’imprégner notre pratique politique ? Cette utopie ne serait-elle pas alors le début de la sagesse, signe d’une maturité politique?
+ Alain Harel.
Évêque du Vicariat Apostolique de Rodrigues.